Le végétarisme, bientôt incontournable ?

Naguère réservés aux festivités, les produits carnés se sont invités dans notre alimentation quotidienne à partir du milieu du 20ème siècle. C’est le développement des pratiques d’élevage et d’agriculture intensifs qui ont rendu cette évolution possible, menant à un effondrement du prix de la viande… en même temps que de sa qualité !

Pourtant, fondamentalement, les protéines animales restent un luxe : il faut environ 10 kg de protéines végétales pour produire 1 kg de protéines de bœuf ! Dans le contexte actuel de pression démographique (nous serons 8,5 milliards en 2030), consacrer une telle quantité de protéines végétales de haute qualité à l’alimentation animale plutôt qu’à celle des hommes paraît de plus en plus inconcevable.

Par ailleurs, les conséquences de plusieurs décennies d’élevage intensif et de surconsommation de produits animaux s’imposent de plus en plus violemment à nous : pollution de l’eau, de la terre, de l’air, réchauffement climatique, appauvrissement des sols, succession de scandales alimentaires et de crises sanitaires, résistance aux antibiotiques, extinction d’espèces, zoonoses, alimentation bourrée de pesticides, explosion des maladies chroniques et pandémies !

Dans ce contexte, le végétarisme séduit de plus en plus, et pour cause ! Va-t-il peu à peu s’imposer comme un mode de consommation incontournable?

Qu’entend-on par végétarisme ?

Chaque personne a sa propre conception du végétarisme, rendant difficile l’évaluation de l’ampleur du phénomène. Les études montrent que plus de la moitié des personnes qui se déclarent végétariennes mangent de la viande au moins une fois par semaine. Certains se considèrent végétariens parce qu’ils s’abstiennent de consommer de la viande rouge ou transformée, d’autres par le simple fait qu’ils aspirent à réduire leur consommation de viande.

On peut donc définir le végétarisme comme un large spectre de pratiques où l’éviction des produits animaux est plus ou moins stricte. Il va du flexitarisme, qui consiste à réduire, peu ou prou, sa consommation de viande, au véganisme, où tous les produits animaux sont proscrits, y compris des produits dérivés non alimentaires comme le cuir ou la laine.

Selon une récente étude du CREDOC, le végétarisme séduit de plus en plus de monde, ce que confirme une progression effective des ventes de produits végétariens dans la grande distribution.

Même s’il gagne de l’ampleur, le végétarisme strict reste une tendance marginale. Il concerne 3 à 8% de la population dans les pays européens. Les formes les plus extrêmes comme le végétalisme et le véganisme sont encore plus rares, concernant respectivement 2% et 1% de la population, en particulier des femmes et des jeunes de moins de 35 ans, issus de milieux urbains et/ou dotés d’un fort capital culturel. Le flexitarisme, lui, est beaucoup plus répandu. Il touche pratiquement un tiers de la population dans toutes les tranches d’âge.

Les 4 courants principaux de végétarisme

Végétarien : ne consomme ni viande, ni poisson, mais bien des œufs, du fromage, du lait…

Végétalien : ne consomme que des légumes, légumineuses, fruits et céréales

Végane : ne consomme, ni n’utilise aucun produit issu des animaux (y compris laine, cuir, soie…)

Flexitarien : limite sa consommation de produits carnés, sans s’abstenir totalement.

Quelles motivations ?

Alors que les formes extrêmes de végétarisme sont surtout motivées par des arguments d’ordre éthique tels que la protection de la planète et le bien-être animal, le flexitarisme est d’abord motivé par le désir d’améliorer sa santé, de consommer « moins mais mieux ».

Protéger la planète

Si l’on se limite à l’aspect « réchauffement climatique », l’élevage intensif est responsable de près de 15% de l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre (GES), dont une grande partie est liée à l’élevage de ruminants (méthane). Il est également la première cause de destruction de la forêt amazonienne, pour la culture du soja destiné au bétail.

Selon le 5è rapport du GIEC de 2014, limiter sa consommation moyenne de viande de ruminant à 10g/jour, et celle des autres viandes, œufs et poissons à 80 g/jour permettrait de réduire les émissions totales de GES de 8,5%, ce qui aurait autant d’impact que de réduire de moitié le trafic routier mondial.

Protéger les animaux

Les neuroscientifiques ont récemment confirmé l’existence d’une conscience animale, nous mettant face à notre responsabilité de respecter le bien-être animal en tant qu’état émotionnel. Ces avancées devraient engendrer une modification des lois internationales sur les conditions d’élevage et d’abattage des animaux, rendant l’élevage intensif pratiquement impossible à l’avenir.

Faut-il pour autant renoncer totalement à élever des animaux ? De nombreuses associations plaident pour le retour à des fermes d’élevage familiales, à dimension humaine, dans lesquelles serait restaurée la relation multimillénaire historique de vie et de travail avec les animaux. Ils se verraient offrir de l’espace, une vie au grand air, une alimentation adaptée et de qualité, et, à l’heure où ils ne seraient plus productifs (vaches laitières, poules pondeuses…), une retraite bien méritée plutôt que l’abattoir…

Cet élevage traditionnel en pâturage serait nettement moins néfaste pour l’environnement et les animaux, mais son rendement serait aussi nettement plus faible et donc incompatible avec l’hyperconsommation actuelle de produits animaux.

Protéger sa santé 

De nombreuses personnes réduisent leur consommation de viande dans l’espoir de vivre plus longtemps et en meilleure santé. Des études récentes ont effectivement mis en lumière le lien entre la surconsommation de produits carnés -en particulier la viande rouge et les préparations à base de viande- et l’augmentation des risques de cancers (côlon, prostate…), de maladies cardiovasculaires et de diabète de type 2.

De fait, il apparaît que les végétaliens ont un taux de mortalité, toutes causes confondues, de 15% inférieur à celui des omnivores. Cependant, les avantages du régime végétalien tiendraient plus à la meilleure hygiène de vie globale et à l’absence d’ingestion de produits nocifs associés à la viande qu’à l’abstention de viande elle-même.

Les végétaliens ont généralement une alimentation plus riche en fruits et légumes, sources de vitamines, fibres, polyphénols et antioxydants. Ils sont aussi plus soucieux de leur santé que la moyenne : plus « bio », plus sportifs, moins fumeurs…

Par ailleurs, la plupart des viandes, poissons, lait et œufs issus de l’élevage intensif et/ou transformés sont pratiquement impropres à la consommation : bourrés de pesticides et d’additifs (eau, sel, sucre, graisses hydrogénées, exhausteurs de goût, conservateurs, colorants, antibiotiques…), issus d’animaux nourris avec des céréales riches en oméga 6, plutôt que d’herbe de pâturages riche en oméga 3, ce qui augmente le risque d’inflammation et de maladies chroniques.

Tant que perdurent les pratiques d’élevage intensif, le régime végétarien/végétalien apparaîtra de plus en plus sain dans les études, non parce que l’homme est fait pour être végétarien, mais parce que nous ne sommes pas équipés pour métaboliser des viandes, œufs et poissons bourrés de produits chimiques.

Devenir végétarien/végétalien ne s’improvise pas !

L’homme étant par nature omnivore et non végétarien, passer à une alimentation majoritairement ou exclusivement végétale ne s’improvise pas. Elle nécessite, pour être équilibrée, d’associer correctement les aliments pour éviter tout risque de carences.

Chez les flexitariens, qui s’autorisent la consommation occasionnelle de viande, poisson, œufs et produits laitiers, les risques de carences sont minimes. Dans les formes plus extrêmes comme le végétalisme ou le véganisme, par contre, ils sont bien réels ! C’est encore plus particulièrement le cas pour certains profils aux besoins spécifiques : bébés, enfants et adolescents, femmes enceintes ou allaitantes, personnes âgées, dénutries ou malades.

Il ne faut pas hésiter à faire régulièrement des analyses sanguines pour vérifier l’absence de carence et à se supplémenter en cas de nécessité.

Les principaux risques de carences

Protéines

Toutes les protéines animales (poisson, viande, œuf, produits laitiers…) sont dites « complètes ». Elles contiennent tous les acides aminés (AA) essentiels nécessaires au renouvellement des protéines de notre organisme.

Les protéines végétales, par contre, sont généralement incomplètes : à l’exception du soja, du quinoa ou de l’amarante , qui peuvent se suffire à elles-mêmes , elles manquent de certains AA essentiels que le corps ne peut produire. Il est donc important de combiner – si pas à un même repas, tout au moins au cours de la journée- des légumineuses: lentilles, pois chiches, lupin, …(déficientes en méthionine) avec des céréales complètes, des noix et des graines (déficientes en lysine).

Exemples de repas végétariens « complets »

  • Riz (céréale) + lentilles (légumineuse) + légumes
  • Chili sin carne : haricots rouges (légumineuse) + maïs (céréale) + légumes
  • Pain complet (céréale) avec de l’houmous (légumineuse) et des crudités
  • Couscous (céréale) + pois chiches (légumineuse) + légumes

Oméga 3

Les omégas 3 sous forme d’EPA et de DHA, directement utilisables par l’organisme, n’existent pratiquement que dans des sources animales (poissons des mers froides et jaunes d’œufs fermiers). Les personnes qui ne mangent ni poisson, ni œufs, sont automatiquement susceptibles d’en manquer, ce qui peut notamment favoriser l’inflammation, les risques cardiovasculaires et la dépression.

Vitamines B12

Elle ne se trouve que dans les produits animaux (bœuf, fruits de mer, œufs, produits laitiers), même si une quantité négligeable est produite par notre microbiote. Il s’agit d’une vitamine très importante pour le fonctionnement du cerveau, du système nerveux et dans la synthèse de l’ADN.

Une étude récente a montré que plus des ¾ des végétariens et plus de 90% des végétaliens sont carencés en B12 ! En d’autres termes, les végétaliens et véganes n’ont d’autres choix que de se supplémenter en vitamine B12!

Choline

La choline est une vitamine B surtout présente dans les aliments d’origine animale comme les œufs et la viande, et qui est essentielle pour le bon fonctionnement des membranes cellulaires, les communications nerveuses et la méthylation (régulation de l’expression des gènes en fonction de l’environnement).

Les carences en choline, comme en B12 et oméga 3 peuvent expliquer pourquoi l’alimentation exclusivement végétale pourrait être associée à un risque accru de dépressions.

Vitamine D3

La vitamine D3 (forme la plus biodisponible) se trouve en petite quantité dans les poissons gras, les produits laitiers, le beurre et les œufs. En dehors du lichen, elle est très rare dans les végétaux. La meilleure source de vitamine D reste l’exposition bras nus au soleil d’avril à octobre.

Zinc

Le zinc intervient dans plus de 200 réactions du corps (croissance, cicatrisation, immunité, métabolisme, goût…). Les sources végétales sont beaucoup moins biodisponibles en raison de la présence d’acides phytiques (inhibiteurs enzymatiques, anti-nutriments). Le trempage, la germination et la fermentation des céréales et graines aident à diminuer leur teneur en phytates, permettant une meilleure absorption des nutriments.

Fer

Le fer des végétaux dit « non héminique » (légumineuses…) est nettement moins bien absorbé que le fer dit « héminique », abondant dans la viande rouge et les abats. La vitamine C permet d’augmenter considérablement l’absorption du fer végétal, contrairement aux phytates, polyphénols et tanins (café, thé, chocolat, protéines de soja…) qui la restreignent.

Les protéines du futur

Actuellement, la production agricole est dominée par le blé et le soja, mais la R&D agronomique se concentre sur la valorisation du potentiel protéinique d’autres végétaux comme les légumineuses ou les algues, dans l’espoir d’apporter des solutions durables pour nourrir la planète.

Des substituts à base de protéines végétales, qui ressemblent à s’y méprendre aux produits animaux d’origine -sans les produits nocifs associés à la viande-, se multiplient sur les étals. Pour n’en citer qu’une, la société américaine Beyond Meat affirme avoir mis au point le steak végétal parfait, à base de protéines de pois : riche en protéines, antioxydants, calcium, oméga 3 et infiniment moins cher et moins polluant.

Pour les irréductibles amateurs de viande, des solutions innovantes pointent à l’horizon : l’agriculture cellulaire devrait bientôt révolutionner le marché des produits animaux. La viande synthétique devrait être commercialement viable d’ici une dizaine d’années. Il s’agit de cultiver des cellules musculaires in vitro, permettant un contrôle total de la composition et de la qualité de la viande et de garantir l’absence de substances indésirables. De même, il deviendra possible de fabriquer du lait synthétique à l’aide d’une imprimante cellulaire 3D, en excluant au passage tous les adjuvants indésirables (antibiotiques, hormones, graisses trans, produits organiques persistants…).

Ces nouvelles solutions, plus écologiques, devraient rendre le concept d’élevage intensif totalement désuet et inconcevable. Mais si elles se veulent plus durables, on peut leur reprocher de continuer à s’inscrire dans une fuite en avant sur les plans technologique et industriel.

Alors, végétarisme ou pas ?

Objectivement, ce n’est pas tant le végétarisme au sens strict qui va devenir incontournable que l’impérieuse nécessité de produire et consommer autrement : « moins mais mieux ».

L’abandon des techniques d’agriculture et d’élevage intensifs, destructrices et intenables sur le long terme, au profit de pratiques à taille humaine, plus décentralisées, respectueuses de l’environnement et des animaux concourrait automatiquement à cet objectif : la production serait plus discrète, les produits de meilleure qualité, les prix plus équitables. Cela amènerait automatiquement une diminution de la consommation de viande au profit d’une augmentation de la part des végétaux au sein de l’alimentation. Le flexitarisme s’imposerait naturellement comme la norme.

Mais si l’on pressent que l’élevage intensif est amené à disparaître, cela risque de ne pas se faire du jour au lendemain, tant les contingences politiques, sociales et économiques liées à ces modes de production sont nombreuses.

Or, que ce soit pour la planète, les animaux ou notre santé, on ne peut se permettre d’attendre passivement que les solutions s’offrent ou s’imposent à nous d’en haut, alors que nous avons le pouvoir, en tant que consommateurs, de faire des changements immédiats : nous devons dès à présent faire le choix de consommer moins et mieux !

Nul besoin de passer de tout à rien, d’aller dans les derniers retranchements du véganisme pour avoir de l’impact ! En réduisant, ne serait-ce qu’un peu, sa consommation de viande, et en choisissant des produits locaux, d’animaux bio élevés en pâturage, on joue déjà une merveilleuse carte pour sa santé et la planète.

Hélène Wacquier

Télécharger l’article en pdf

Sources :

  • Panorama de la consommation végétarienne en Europe, CREDOC/FranceAgriMer 2018
  • L’homme est-il végétarien par nature ?, Venesson, julienvenesson.fr
  • L’impact de la viande sur les humains, les animaux et l’environnement : L’élevage accentue l’effet de serre et la déforestation, viande.info
  • Tous végétariens en 2050, F. Derzelle, vegetik.org