L’alcool et ses paradoxes

Il est connu et démontré qu’une surconsommation régulière d’alcool est extrêmement délétère. Mais qu’en est-il d’une consommation faible à modérée? Celle-ci pourrait-elle avoir des bénéfices pour la santé, comme l’affirme la théorie du « French paradox »[1]? Une large revue scientifique a examiné, en 2022, 140 méta-analyses portant sur les liens entre alcool et santé.

Exit le « French paradox » !

Sans surprise, cette revue conclut qu’une consommation élevée d’alcool (définie comme >2,5 unités standards[2] (us)/j) augmente significativement les risques d’AVC hémorragique, d’hypertension, et de tous types de cancers.

Une consommation faible (<1 us/j) ou modérée d’alcool (entre 1 et 2,5 us/j), par contre, s’avère réduire significativement les risques de certains cancers (par ex. rein), de démence, de certains troubles cardiovasculaires et de mortalité de toutes causes, en particulier chez les personnes hypertendues. Cependant, dans le même temps, cette consommation, aussi faible ou modérée soit-elle, augmente significativement le risque d’autres cancers (peau, œsophage, sein…).

Que tirer d’une telle étude ? Elle ne permet malheureusement de dégager aucune piste de conduite à tenir, si ce n’est la prudence! On ne peut décemment conseiller à quelqu’un de boire de l’alcool pour prévenir des risques cardiovasculaires si cela augmente, par ailleurs, son risque de cancer…

Chaque individu est unique face aux risques de pathologies en lien avec la toxicité de l’alcool.

« La dose fait le poison », mais quelle dose ?

S’appuyant sur une étude de l’Inserm de 2020, qui corrobore, elle aussi, les dangers potentiels de l’alcool, même à faible dose, les instances se refusent à mettre en évidence les éventuels effets bénéfiques d’une consommation faible ou modérée d’alcool. Les repères de consommation ont même été revus à la baisse en 2018 (environ de moitié !) par rapport à ce qui était jusqu’alors préconisé par l’OMS.

Ainsi, en Belgique, le Conseil Supérieur de la Santé recommande à tous de se limiter à 10 us d’alcool/sem, à raison de 2 us/j max. (et uniquement en mangeant); et en s’abstenant au min. 2 j/sem, pour éviter le risque de dépendance. Chez les moins de 18 ans, l’alcool est totalement proscrit. Le « binge drinking »[3] est particulièrement néfaste pour leur cerveau en développement, et augmente très significativement le risque d’alcoolodépendance.

Notre consommation est-elle raisonnable ?

Avec une consommation moyenne de 12 l d’éthanol/pers./an, la Belgique surpasse la moyenne européenne et affiche un taux de morbidité élevé en lien avec l’alcool. Selon l’enquête de santé 2018 de Sciensano, 10% d’hommes et 5% de femmes belges auraient une consommation à risque. Loin d’être réservé à un profil type, le phénomène concerne Mr et Mme tout le monde, dans toutes les couches de la société et à tous les âges.

Le confinement de 2020, avec son lot de stress et d’isolement, a amené certains à compenser en prenant l’apéro plus souvent, voire tous les jours. Comme le sucre ou d’autres drogues, l’alcool active rapidement les circuits de la récompense (notamment par la libération de dopamine), produisant une sensation de bien-être ou d’euphorie transitoires. Mais l’usage de l’alcool comme anxiolytique, antidépresseur, ou pour combler un mal de vivre, est, par nature, à risque.

Par ailleurs, certains symptômes doivent alerter sur la nécessité d’adapter ses habitudes de consommation, notamment :

  • Troubles du sommeil, réveils nocturnes fréquents, fatigue persistante ;
  • Digestion « difficile », brûlant ;
  • Troubles de la mémoire, de la concentration, anxiété, baisse de motivation pour les activités du quotidien ;
  • Prise de poids…

Ces signes peuvent préfigurer des troubles plus sérieux. Plus vite on prend conscience d’une éventuelle dérive, plus vite on réagit, plus de chances on a de pouvoir normaliser sa consommation d’alcool, sans devoir s’astreindre à s’abstenir totalement. Le site aide-alcool.be propose des informations détaillées et un programme d’accompagnement en ligne, anonyme et gratuit, pour aider qui le souhaite à se fixer des objectifs personnalisés et à cheminer vers une meilleure maîtrise de sa consommation.

Non, l’alcool n’est pas « du sucre ». Si il est vrai que nombre de boissons alcoolisées contiennent des sucres résiduels ou ajoutés (vins doux, cocktails…), l’alcool pur (éthanol) n’en contient pas. Par contre, il ouvre l’appétit en favorisant, notamment, l’hypoglycémie. C’est aussi une vraie bombe calorique, apportant 7 Kcal/g contre 4 Kcal/g pour le sucre. Si l’on prend tous les jours 2 verres de vin, on absorbe un surplus d’environ 1400 Kcal/sem., soit près de 73.000 Kcal/ an, correspondant à une prise de poids de 8kg, si cette consommation n’est pas compensée par une réduction des calories alimentaires ou un surplus d’activité physique.

Hélène Wacquier

Références :

  • « Inserm (dir.). « Réduction des dommages associés à la consommation d’alcool. » Collection Expertise collective. Montrouge : EDP Sciences (2021)
  • Zhong, Lixian, et al. « Alcohol and Health Outcomes: An Umbrella Review of Meta-Analyses Base on Prospective Cohort Studies. » Frontiers in Public Health 10 (2022)

[1] On a longtemps préconisé, dans le cadre du régime méditerranéen, une consommation modérée de vin rouge dont les polyphénols antioxydants étaient supposés bénéfiques pour la santé cardiovasculaire.

[2] Pour rappel, une unité standard d’alcool correspond à 10g d’alcool pur, soit indistinctement 1 verre de vin (10 cl), un verre de bière (25 cl) ou un verre d’alcool (30 à 60 ml selon degré d’alcool)

[3] Le binge drinking consiste à boire une grande quantité d’alcool en peu de temps.

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